
Notre grand-mère est décédée en 1969. Tout le monde l’adorait. J’avais seize ans quand j’ai appris la mauvaise nouvelle. Elle est morte chez ma tante à Château-Renault, en Indre et Loire. J’habitais à Tours à cette époque en raison de mes études. J’ai donc pris le train afin de me rendre à son chevet. Ma mère, ma tante et mon cousin Patrice étaient près de ma grand-mère. Je n’avais jamais vu un corps sans vie. J’étais bloqué. Je ne reconnaissais pas ma grand-mère. Je ne comprenais pas. Je ne pleurais pas. Au moment de sortir de la chambre, mon cousin l’a embrassée et ma tante m’a dit : « Fais-lui un tout dernier bisou toi aussi si tu veux ! ». Je ne sais pas pourquoi j’ai refusé et je m’en veux encore. Est-ce que j’ai eu peur ?... Et peur de quoi ?... Je suis rentré chez moi à Amboise avec ma mère. Et j’ai pleuré... J’étais inconsolable.
Des années plus tard, j’ai vécu une aventure qui m’a marqué longtemps et à laquelle je pense de temps en temps. Un de mes amis venait de perdre sa mère. Il m’a demandé, très ému, de la prendre en photo sur son lit de mort. J’ai refusé tout d’abord mais comme il insistait j’ai accepté en me disant que je n’étais plus un gamin et que ce serait finalement simple puisque je ne connaissais pas cette vieille dame. Il y avait beaucoup de monde dans la maison. Toute la famille était réunie. J’ai compris qu’il y avait un problème. On ne voulait pas que je photographie la défunte en prétextant que « c’était immoral », « que cela ne se faisait pas », ou que « c’était indécent »… J’allai faire demi-tour, bien content de cette déconvenue qui me permettait d’échapper à cette corvée, quand mon ami s’est fâché. C’était sa mère et il était fils unique. Il désirait à tout prix conserver une image d’elle. Nous sommes entrés rapidement dans la chambre pour faire la photo. J’étais très impressionné. La dame était allongée sur son lit. J’ai fait la photo dans un état second. Mon ami, sa femme et ses enfants entouraient leur mère et grand-mère... Avant de sortir, les trois enfants l’ont embrassée sur le front. Et moi aussi j’ai embrassé leur grand-mère.
Plus tard, dans ma voiture, sur le chemin du retour, j’étais heureux. Vous n'allez pas me croire mais j’étais heureux… J’avais embrassé leur grand-mère.
Mais surtout j’avais embrassé MA grand-mère... ENFIN…