
Paris, il y a longtemps. Je me promène sur un boulevard... Le Leica au cou... prêt à dégainer... Devant moi, vous n'allez pas me croire, Jean Marais, les cheveux longs, blancs... seul en face de moi... D'abord surpris, je porte l'appareil à mes yeux pour faire la photo. J'hésite... Je ne voudrai pas l'importuner... Jean Marais s'arrête, la main sur son cœur. Il me fixe l'air de me dire, "vas-y mon p'tit gars, fais ta photo"... J'en fais deux... Elles sont parfaites enfin je crois car j'ai un peu la tremblote... Je lui souris pour le remercier... Il attend, immobile... Allez "cadeau" semble-t-il me dire... Pas un mot n'est échangé... Puis il s'engouffre dans le taxi stoppé net sur un signe de son bras... Voilà, c'est fini... la scène a duré une minute à peine. Je suis heureux... C'était un instant magique...
Je repars à l'aventure... A un feu rouge, un homme en Solex et coiffé d'un casque en forme de bol attend le feu vert... C'est Alain Duhamel le journaliste… Clic, c'est dans la boîte... Quelle chance, tout ça sur le même film... Souvent je rentre bredouille alors je suis content. J'ai surtout hâte de voir la photo de Jean Marais... Je développerai le négatif ce soir à la maison comme d'habitude...
Bon, maintenant, je prends le métro. Dans cette station, une grande cafétéria... J'ai bien mérité un bon café pour toutes ces émotions non ?... Tout à coup, près de moi, des hommes en bleu de travail et en "rangers", vous savez ces brodequins de l'armée qui pèsent deux tonnes, tabassent un SDF... Je fais quelques clichés comme ça sans flash, à la volée et surtout sans réfléchir... pour témoigner éventuellement (ben tiens je me prends pour qui moi ?)... Les hommes emmènent le SDF... Je paie mon café et m'en vais... A la sortie en haut de l'escalier, les mêmes hommes en bleu de travail m'alpaguent. Hop... Dans le bus et vivement ... Un peu la trouille le Gendrot j'avoue... Dans ce bus, dans la partie arrière, quatre ou cinq SDF dont probablement celui que j'ai vu tout à l'heure... Un flic prend mon appareil photo et l'ouvre... Il retire sous mes yeux écarquillés, le film et le déroule à la lumière du jour.... Pas eu le temps de dire quoi que ce soit... Ma première pensée a été de me demander comment il avait fait car le Leica a la particularité de s'ouvrir par la semelle... Il faut le savoir...
Ma seconde pensée a été beaucoup plus douloureuse... Je n'avais plus LA PHOTO DE JEAN MARAIS...